The day we first met ++ Evak

Evak

The day we first met

Je le regarde, surpris. Je ne m’attendais pas à ce qu’il me pose cette question et dans un petit sourire, je hoche non de la tête. Lui, je ne l’ai jamais filmé. Et puis, je ne filme pas non plus les personnes dans leur intimité ! Ce serait malvenu. Je préfère me promener simplement dans la rue et filmer ce que je vois. Tout bêtement. Ou alors à l’école mais ça, c’est une autre chose. Qu’il ne s’inquiète donc pas !

« La pire chose ? Hum… » Je cherche dans ma tête ce que j’ai pu voir de vraiment bizarre, ou horrible. Puis, je souris un peu et le regarde. « La pire chose que j’ai pu filmer, c’est une mère qui frappait trop fort son enfant. C’était vraiment horrible. Des gens ont essayé de l’arrêter, ils ont réussi, mais ça se sentait qu’elle n’en avait pas fini avec lui. J’imagine que les services sociaux sont intervenus… » Je cherche dans mes affaires la cassette de ce jour-là mais ne la retrouve pas. C’est un sujet délicat et peut-être faudrait-il que je change de sujet.

« Est-ce que ça te dérangerait que je te filme maintenant ? Tu n’as rien à faire de spécial. Je poserais juste la caméra là et on papoterait. » Je sais que c’est une drôle de requête. N’importe qui d’autre refuserait, d’ailleurs. Je m’attends à ce qu’il le fasse, en fait.

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Ce qu'il me raconte me choc un peu. Je fronce des sourcils en baissant mon regard et dit «Merde, j'espère vraiment que les services sociaux s'en sont mêlés!» avant de le regarder à nouveau. Légèrement déconfit pour lui. «Comment t'as réagit en voyant ça?» Je me prend à m'inquiéter aussi de ses émotions ce jour là, et je me demande bien pourquoi. C'est du passé, non? mais si cet événement l'avait vraiment marqué? L'avait blessé?

Sa question me prend de court, et je rougis instantanément en me replaçant un peu plus droit sur ma chaise «Euh, là, maintenant?» puis rit nerveusement ...Hésitant avant de hausser une épaule et dire «Okay, mais je risque de ne pas être intéressant. J'suis pas le meilleur sujet, à mon avis...» puis sourit timidement en frottant ma nuque. J'ai rarement été filmé dans ma vie. Je me souviens d'une fois à ma première communion ...mais c'est à peu près tout. Les Snapchats ne comptent pas.

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C’est compliqué de dire comment j’ai réagi, sachant que tout dépend de mes crises. Je me souviens que ce jour-là, j’étais plutôt maussade. Alors filmer des trucs horriblement inhumains, ça correspondait à mon humeur. Cela ne faisait que renforcer le côté obscur de ce monde. « J’ai juste prévenu de ce qui se passait mais je n’ai rien fait moi-même. Un peu nul de ma part d’ailleurs. » Je suis rarement fier de mes actes quand je suis comme ça, mais j’y peux rien. C’est ma nature. Une fois j’suis up, une fois j’suis down. Et personne ne peut le prévoir, même pas moi !

Je souris un peu et pose la caméra, que je mets en route. « T’inquiète, il y a des sujets encore plus ennuyeux ! Ne la regarde pas, parle-moi à moi. » Grâce à la machine mais aussi à mes yeux, j’enregistre les expressions faciales d’Isak et elles me plaisent beaucoup. Il a l’air gêné alors je tente de le détendre un peu avec une discussion. De quoi pourrait-on bien parler ?

« Tu sais, au final, filmer tout plein de choses, c’est plus égoïste qu’autre chose. Cela permet de se remémorer de bons souvenirs, des visages qu’on aurait oublié par manque de temps pour y repenser. De capturer des instants uniques. J’aime bien cette idée-là. Certes, ces instants ne m’appartiennent pas, mais j’en ai un morceau. Et quand je les revisionne, je me rappelle comment j’étais à ce moment-là, ce que j’ai ressenti. Je trouve ça important, de ne pas oublier… » Je fronce un peu les sourcils, me trouvant soudainement bien sérieux.

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Je mordille ma lèvre et me replace un peu sur ma chaise en disant «Oui mais au moins tu as prévenu... C'est déjà mieux que rien, comme tu dis.» puis sourit faiblement pour le rassurer. Je n'aime pas qu'il ait ce jugement de lui-même. Seulement, quand je vois qu'il allume la caméra pour la placer ensuite vers moi, je sens mes joues s'empourprer. Il essaie de me rassurer à son tour mais ça ne fonctionne pas vraiment, en fait.

Lorsqu'il se met à parler et à s'ouvrir par contre, je l'observe. Je suis assez d'accord avec ses propos ...mais il y a une note de tristesse dans ses paroles. Je baisse le regard et dit ensuite «C'est très courageux de ta part, ne pas vouloir oublier. Pour ma part, je fais souvent exprès pour oublier en fermant mon esprit. Des événements qui m'ont bouleversés par exemple ...Bah je m'en souviens un peu quand j'y pense vraiment, mais ils sont flous, tu vois? Alors que les bons événements, je peux m'en souvenir comme si c'était hier...» puis je le regarde à nouveau en haussant une épaule. J'ajoute ensuite «...Je ne te trouve pas du tout égoïste...En passant. Au contraire ...» puis sourit timidement «Tu fais que te vouloir te rappeler de tout ...C'et très bien...» puis timidement, je commence à ronger le bout de mon ongle de pouce, sans m'en rendre compte.

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J'écoute ce que Isak me dit et je trouve triste qu'il ait besoin d'oublier certaines choses comme ça. Je considère que c'est ce qui fait qu'on est "soi" et pas une autre personne. Même si, je l'accorde, j'aimerais oublier parfois que je suis qui je suis. Que j'ai ce problème là qui ne partira jamais. Je ne trouve plus le sourire alors que mes yeux se fixent sur mon camarade, qui semble à la fois authentique et gêné. Est-ce que c'est moi qui le dérange ? Vais-je encore trop loin ?

"Merci de ta compréhension. Et tu as de la chance de pouvoir choisir ce que tu veux te souvenir de ce que tu veux oublier. Mais je pense toujours que même les plus mauvaises choses nous forgent et font qui on est. Si on les oublie trop, on s'oublie un peu soi-même. Tu ne crois pas ?" Je n'essaye pas de le convaincre ou de le ranger à mon opinion. En lui posant des questions, j'essaye de le faire parler, qu'il partage son point de vue sur les choses de la vie. Et plus tard, dans mon lit ou assis à mon bureau, je visionnerais tout ça et je verrais des choses imperceptibles sur l'instant, qu'Isak pense peut-être me cacher.